Le spectacle est une loupe qui scrute ce qu’on ne voit plus : la force des choses, l’usure du temps, le jour qui devient nuit, la nuit qui prend fin. Ce sont des personnages qui s’enlisent et se démènent avec l’énergie du désespoir ou celle de l’espoir : pour eux, c’est du pareil au même, ce sera toujours fait dans la crasse. Sur scène, un héros et quatre révélateurs de la merde du héros comme de sa vitalité : un rendez-vous de sdf ou d’anges gardiens ou de chiens égarés; un territoire sans loi, où la règle c’est qu’il n’y en a pas. C’est l’histoire de la beauté du laid, du capiteux de l’immonde. C’est l’histoire de La couleur du gris.
À l’heure où l’individualisme et l’intimidation donnent aux sociétés des airs de bestiaire darwiniste, l’individu laid et ostracisé doit faire appel à une bonne dose de résilience pour légitimer ses désirs, voire sa propre identité. Il n’a que faire de péroraison moralisante et des leçons de vies déjà bien accomplies. Dans un esprit libertaire, le tandem Sabourin-LeBlanc pratique le théâtre à son corps défendant; il s’inspire notamment du roman graphique.
Vidé ? Le silencieux fait le plein. Entre son cri et son silence, l’éloquence consiste à appréhender la vie sous un angle dérangeant. Sa transgression de la parole n’a rien d’irrationnelle; c’est une protestation physique, une faille dans une réalité convenue et fabriquée, un accès à l’inavouable. Sans littérature, la chair se fait alors organe de l'esprit où se cache et se révèle la laideur et la lourdeur mais aussi le plaisir, la légèreté et la liberté. Toutes choses insaisissables par la logorrhée du verbeux.
La couleur du gris est celle du désir survivant à la laideur.